Il se répète à l’envi que le christianisme N’EST PAS un humanisme.
D’abord parce qu’il est une religion qui prône le surnaturel – donc ce qui est au-dessus de l’Homme.
Et de toutes façons, les innombrables procès contre l’Église suffisent apparemment à la condamner pour obscurantisme et intolérance. Les croisades, l’inquisition, l’affaire Galilée… sont le premier refrain qu’on nous ressert sans cesse (mais sans vraie connaissance de ces dossiers).
Ces procès sont instruits dans notre chapitre Les « crimes » de l’Église.
Si le christianisme n’est pas un humanisme, du coup, c’est l’humanisme moderne qui devient le seul humanisme : le grand mouvement d’émancipation de l’homme à l’égard de toute religion et de ses prétendues superstitions. Cet humanisme se réclame des ‘Lumières’ (France 18e s.), et s’est principalement défini et développé contre le christianisme. Jusqu’à nier les racines chrétiennes de la civilisation occidentale, en s’acharnant à « déconstruire » toutes ses valeurs humaines et évangéliques aujourd’hui.
« Le moment des Lumières est crucial. C’est le moment où le monde occidental se saisit de l’idéal émancipateur issu du christianisme, et le sépare de la transcendance. » (Chantal Delsol, philosophe)
Après l’humanisme des Lumières (18e s.), ce fut plus encore l’humanisme athée (19e s.). Celui de l’homme sans Dieu et même contre Dieu. D’où l’opinion, même chez les chrétiens, que le christianisme n’est pas un humanisme. (Ex. ici)
En réalité, les racines de l’humanisme sont bien plus anciennes : elles remontent au christianisme, et devancent l’humanisme moderne, qui en serait plutôt le détournement et la contrefaçon.
Deux siècles avant les Lumières,lors de la conquête du Nouveau Monde (16e s.), l’Église a tranché la question du statut des païens (amérindiens), qui étaient soumis à toutes les brutalités et aux convoitises des colons-conquistadors. L’Église catholique (avec le dominicain Las Casas) a affirmé leur inaliénable humanité, égale à celle de tout homme, que personne n’a le droit de violenter, ni de contraindre à la foi. (ici)
Le Concile de Trente (Italie) proclamait que « l’homme, tout homme, est libre et égal devant la grâce ; et que l’humanité est une et indivisible », contredisant l’opinion qui courrait dans le monde protestant que les seuls élus étaient prédestinés par la grâce, et non les autres. Inutile de rajouter ici que la question « La femme a-t-elle une âme ? » est un pur mythe ; il était évident pour l’Église que « l’Homme » incluait la femme — et réciproquement. (source)
Deux humanismes s’opposent donc. Trop de chrétiens, ignorants leurs racines et leurs richesses, abandonnent leur humanisme aux athées ou aux agnostiques, qui le revendiquent contre le christianisme.
Il est vrai que les dérives de l’histoire chrétienne semblent leur donner raison. Il faut alors rappeler que l’humanisme païen en fit autant, sinon bien pire, au cours des trois derniers siècles, avec leurs génocides et leurs totalitarismes. (Cf. Le drame de l’humanisme athée, du p. de Lubac) Vieille querelle donc ! (Voir ici Wikipedia et les critiques de l’humanisme)
Aux sources de l’humanisme
Si l’humanisme est bien la « philosophie qui place l’homme et les valeurs humaines au-dessus de toutes les autres valeurs » (Larousse), on ne peut le refuser au christianisme. Bien plus, les racines de l’humanisme se trouvent indéniablement dans le christianisme. Qui est la révélation judéo-chrétienne, laquelle s’est enrichie de la philosophie gréco-romaine.
Dès ses débuts, le christianisme proclame la dignité de l’Homme, et plus encore de la femme, que le paganisme assujettissait généralement. (Ceci explique pourquoi beaucoup de femmes entrèrent dans l’Église.) Le Droit, dans l’Église, transcendait toutes les différences : chacun devait être traité à part égale, quel que soit son sexe, sa religion, sa culture. Il ne pouvait exister de différence de dignité en raison de ses origines ou de sa culture.
Voir Les droits de l’homme sont issus de la tradition biblique
Le christianisme promut entre autres un nouveau modèle de mariage : choix libre du conjoint, tendresse et respect mutuels (très affirmés dans le Nouveau Testament), indissolubilité du couple, et même une sexualité plus humaine, dans le juste milieu entre rigorisme (stoïcisme) et le laxisme (débauche et orgies sexuelles) (voir). Avec évidemment la suppression de l’infanticide. À cela s’ajoute la ‘subversion évangélique’ de la relation maître/esclave, appelés chacun au respect et à la fraternité.
Même sur le plan religieux et théologique, le christianisme est un humanisme. Ceci le rend unique parmi toutes les autres religions. L’Homme y est considéré comme le sommet de la Création et même sa raison d’être. Et il est créé à l’image de Dieu lui-même. Dieu s’y révèle « ami des hommes », au contraire des divinités courantes de l’époque. Au point qu’il se fit lui-même homme pour établir son Alliance avec lui. C’est l’Incarnation, l’Alliance où l’Éternel se fait chair en Jésus Christ, qui le dévoile comme « Abba » (papa chéri !), jusqu’à nous considérer comme ses « enfants » et ses« amis » : « Je vous appelle mes amis » (Jn 15,15). Jusqu’à nous donner sa propre vie dans son offrande sur la Croix. Ceci est sans équivalent dans aucune autre religion.
« Cela ne montre-t-il pas à l’évidence que Dieu est humaniste, c’est-à-dire non seulement Créateur mais philanthrope, ami de l’homme, comme disent les pères de l’Église. » (Henri Hude, Pourquoi le christianisme est l’humanisme par excellence)
Nourri de toute la philosophie antique et en dialogue avec elle (St Justin en fut le philosophe et l’apologète), le christianisme a progressivement élaboré une pensée doctrinale sur l’homme qui s’est toujours développée dans le sens de la raison, de la justice, de la dignité de la personne, et du caractère sacré de la vie (de toute vie humaine). Et aussi de sa mission en ce monde, de l’éducation, et de tout ce que le Créateur a créé et voulu en lui – jusqu’à l’amour, et même la sexualité. La célèbre Épître à Diognète (fin 2e s.) démontre comment les chrétiens sont pleinement dans le monde, porteurs d’une sagesse et d’une fraternité sans frontières qui les différentient de toutes les religions et mentalités de l’époque.
Cet humanisme est enraciné dans la spiritualité et la pensée chrétiennes à la suite des théologiens ou des philosophes, tels St Thomas d’Aquin (13e s.)… jusqu’à Jacques Maritain (L’Humanisme intégral, 1936). Il est pour les uns « l’humanisme par excellence » (H. Hude), et pour d’autres la « puissance d’humanité » (Yves Roucaute) Ce qui fit dire au pape Jean-Paul II que « L’homme est la route de l’Église » (encyclique Redemptor Hominis, 1979)
« La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant. Et la vie de l’homme c’est la vision de Dieu. » (St Irénée de Lyon, Adversus Haereses 4,20.7)
Certes, ce développement connut des atermoiements selon les courants philosophico-théologiques, où l’emportaient parfois les tendances rigoristes dénonçant le péché. Par exemple avec St Augustin, libertin converti, fustigeant les œuvres de la chair au milieu de mœurs profondément dépravées. Ou dans les courants issus de la Réforme protestante, ainsi que dans le jansénisme.
Prétendre à un humanisme sans Dieu, n’est-ce pas amputer l’Homme de sa dimension SPIRITUELLE et divine ? N’est-ce pas lui couper les ailes, et l’enfermer dans son égoïsme, ses pulsions, sa subjectivité, son fatalisme, ses utopies, son fanatisme, sa barbarie ? Bien des grands génies et auteurs ont dénoncé cette descente aux enfers, tels Dostoïevski, Bernanos, Soljenitsyne. Et même des auteurs aussi sombres que Michel Houellebecq, qui ne voient le salut de l’humanité que dans… le catholicisme (ici).
Bref, depuis 3 siècles, on a voulu tuer Dieu dans l’esprit de l’homme. Mais ce qu’on a finalement tué, c’est l’homme lui-même.
Beaucoup se disent chrétiens ou même catholiques sans pour autant être croyants et encore moins pratiquants. C’est qu’ils partagent la vision du monde et les valeurs chrétiennes essentielles, attestant ainsi que le christianisme n’est pas seulement une religion mais un humanisme, un ferment d’humanité. (Voir par ex ici – même si l’auteur reste tributaire d’une vision tronquée de l’Église.)
Nous développons cela ci-dessous, dans Le génie du christianisme
On ne comprendra jamais le christianisme en regardant l’envers de la tapisserie (avec ses nœuds et ses imperfections). Regardons plutôt la foule des chrétiens qui ont construit notre monde et qui furent de vrais serviteurs de l’humanité au nom de leur foi.
« Contre l’Église catholique, il y a trop de généralisations abusives et de mensonges par omission. » (Jean Sévillia)
« Le passé de l’Église n’a jamais été tout blanc ou tout noir (…) Car très souvent la grandeur de l’institution a sublimé les défauts de ses membres, et la sainteté des uns a dépassé le péché des autres. Si l’Eglise a compté des prélats qui se sont complu dans le luxe (ou la luxure), elle a aussi suscité des milliers de clercs à tous les niveaux – papes, cardinaux, évêques ou simples prêtres – qui n’ont jamais cessé de vivre selon les principes de la pauvreté évangélique, et de s’occuper des plus démunis. Si certains membres du clergé, lors des deux vagues de colonisation européenne du 16e et du 19e siècle n’ont guère pris de gants pour convertir les indigènes, tant d’autres ont fait tout leur possible, jusqu’au sacrifice de leur vie, pour prendre soin des populations autochtones. » (Jean Sévillia)
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